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Compte joint : ne soyez pas trop généreux en séparation de biens !

Le 11 mars 2021

Au cours du mariage, des époux placés sous le régime de la séparation de biens peuvent financer le bien de leur conjoint ou un bien commun, ou encore réaliser des paiements à son profit, et ainsi effectuer des donations.

Au moment de la séparation des époux, le régime matrimonial doit être liquidé, c’est à dire que les époux vont chacun récupérer leur patrimoine composé de liquidités et/ou de biens immobiliers.

Cette liquidation intervient après le jugement de divorce devenu définitif (lorsqu’il n’existe plus de voie de recours) ou après la signature d’une convention de divorce par consentement mutuel contresignée par avocat, soit un divorce amiable sans juge.  

A l’occasion de cette étape, de nombreux conflits peuvent survenir. Par exemple, si durant le mariage un époux a financé majoritairement un bien qui est indivis (qui appartient aux deux époux), l’autre époux qui n’aurait pas participé au financement, se verrait quand même attribuer la propriété de la moitié du bien. C’est à ce moment-là que l’époux qui a financé majoritairement le bien voudra récupérer de l’argent, dans la mesure où il aura donc indirectement réalisé une donation.

Cette possibilité de récupérer l’argent auprès de l’autre époux est prévue par l’article 267 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°20004-439 du 26 mai 2004), indiquant que les avantages matrimoniaux consentis à l’époux sont révocables de plein droit.

Dans cette affaire, l’un des époux alimentait majoritairement le compte joint qui servaient à financer l’acquisition des biens immobiliers en indivisions.

Ce dernier avait donc indirectement financé seul les biens immobiliers acquis, et souhaitait récupérer cet argent.

Son épouse a alors affirmé que le versement de ces sommes n’était pas motivé par une intention libérale de son conjoint mais avait servi à la rémunérer.  

La Cour d’Appel de Lyon le 3 avril 2008 a jugé que la donation entre époux séparés de biens durant le mariage revêtait une intention libérale et n’était pas rémunératoire, et ce sans rechercher si l’époux ayant procédé à la donation était animée par une intention libérale, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas recherché si l’époux qui avait réalisé la donation l’avait fait sans volonté de rémunérer son conjoint, en ayant conscience qu’il ne recevrait pas de contrepartie ou une contrepartie insuffisante.

La Cour d’Appel conclut donc que l’époux pouvait récupérer son argent et accepte la révocation de la donation.

Le problème étant que l’époux qui s’est occupé du ménage, et qui a par exemple réalisé des travaux sur le bien, qui a aidé son conjoint dans l’exercice de son activité professionnelle, va affirmer que le financement du bien indivis, n’était que la juste et équitable contrepartie dont son conjoint était redevable pour tous les services rendus.

C’est exactement ce que retient la Cour de Cassation dans cet arrêt d’espèce :  

« Lorsqu’un époux séparé de bien acquiert un bien, soit à titre personnel, soit indivisément avec son conjoint, au moyen de fonds fournis par ce dernier, sa collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle de celui-ci ou à la gestion du ménage et à la direction du foyer peut constituer la cause des versements effectués pour son compte dès lors que, par son importance, cette activité a excédé sa contribution aux charges du mariage et a été source d’économie ».

Cette dernière, se fonde sur l’article 1096 alinéa 1 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°20004-439 du 26 mai 2004, et met ainsi à la charge de l’époux donateur, l’obligation de démontrer qu’il a été animé par une intention libérale lors de la donation, si bien qu’à défaut d’en rapporter la preuve, la donation sera rémunératoire et non révocable.

En d’autres termes, l’époux qui a fait un don d’argent en versant de l'argent sur le compte joint ne pourra pas récupérer ses fonds, sauf à démontrer que les donations qu’il a faites ont été réalisées sans intention de rémunérer l’activité du conjoint.

La Cour de cassation crée en l’espèce, ce qu’on appelle une présomption simple d’absence d’intention libérale de l’époux donateur.

L'intention libérale doit être recherchée au moment de la formation de l'acte juridique. La preuve peut être rapportée par tous moyens et sa charge incombe à celui qui allègue en sa faveur l'existence d'une libéralité.

S'agissant d'un élément d'ordre psychologique, cette preuve implique une appréciation in concreto soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond et se trouve difficile à rapporter.

La Cour de Cassation limite donc le droit de l’époux de récupérer son investissement.

Cette dernière adopte le même raisonnement lorsqu’un époux contribue de manière excessive aux charges du mariage quand il est placé sous le régime de la séparation de biens.

Par exemple lorsqu’un époux séparé de biens règle toutes les échéances d’emprunt d’un bien immobilier indivis, règle toutes les courses du ménage, entretient seul financièrement les enfants, la Cour de Cassation part du principe qu’il n’y a pas de "sur contribution", et empêche l’époux qui a plus contribué que son conjoint d’obtenir un recours contre ce dernier lors de la liquidation du régime matrimonial.

En effet, la Cour de Cassation a déjà jugé que conformément à la clause de contribution au jour le jour insérée dans les contrats de mariage de séparation de biens rédigés par les Notaires, les époux ne pouvaient revendiquer aucune créance ayant pour fondement une contribution excessive aux charges du mariage :

« Ayant constaté que la clause figurant dans le contrat de mariage des époux stipulait non seulement « que chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature », faisant ainsi ressortir qu'elle instituait expressément une clause de non-recours entre les parties, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci avait la portée d'une fin de non-recevoir » (Cour de Cassation, 13 mai 2020, n°19-11.444).

Autrement dit, là encore, la Cour de Cassation part du principe qu’il ne pourra pas y avoir de « sur contribution », et donc de recours d’un époux contre l’autre pour récupérer son argent.

Par conséquent, lorsqu’un époux participe de manière plus élevée que son conjoint aux charges du mariage, ou qu’il investit des sommes qui lui sont personnelles dans des biens qui lui appartiennent par moitié et à son conjoint, il est conseillé d’établir de manière écrite des reconnaissances de dette pour le cas où une séparation interviendrait des années plus tard.

Ainsi, l’époux pourra recouvrer les sommes avancées, dans la mesure où il pourra alors être prouvé avec que ces fonds ne sont en aucun cas rémunératoire d’une hypothétique activité du conjoint, et que ce dernier est bien son débiteur.

Cour de Cassation, 1ère Civile, 16 décembre 2020, n°19-13701, FS-P

 

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