Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Testament au profit de son aide à domicile : hériter de son employeur défunt ?

Testament au profit de son aide à domicile : hériter de son employeur défunt ?

Le 13 mai 2021

Le Conseil Constitutionnel revient sur l’incapacité de recevoir à titre gratuit des auxiliaires de vie édictée par la loi du 28 décembre 2015 et résultant de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, qui frappe d’une « incapacité à recevoir des dons et legs » les prestataires de services à la personne qui interviennent à domicile.

L’objectif du législateur était en 2015 d’empêcher la captation des biens des personnes âgées par ceux qui travaillent chez elles.

Mais ce texte était-il contraire au droit de propriété ? Le fait de rendre impossible aux personnes âgées le fait de donner ou de léguer des biens à leur domicile n'imposait-il pas une restriction illégitime au droit de propriété ?

 

1.1. Il faut rappeler que seules les personnes saines d’esprit peuvent constituer une libéralité, un don ou un legs si bien que toute personne peut disposer et recevoir par donation entre vifs ou par testament[1]. 

Toutefois, il existe des exceptions pour certaines catégories de personne telle que les mineurs ou les professionnels et/ou les établissements de santé, qui ne peuvent pas recevoir de donation de la part des personnes qu’ils hébergent ou soignent[2]. Dans le cas où la donation serait quand même réalisée, cette dernière encourait la nullité qui serait toutefois relative. 

1.2. En l’espèce, une femme est décédée en janvier 2018. Elle a laissé pour héritiers ses cousins, en qualité de légataire universel. Toutefois, elle avait également formalisé un testament olographe le 17 mai 2017 au profit de son auxiliaire de vie à domicile et lui avait légué son appartement.

Au décès de cette femme, ses cousins ont agi en nullité du legs qui avait été consenti au profit de l’auxiliaire de vie sur le fondement de l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles.

L’auxiliaire de vie a alors posé une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de l’article L 116-4 du CASF en se demandant si ce texte viole le droit de propriété des disposants faute de prendre en considération leur capacité juridique ou leur degré de vulnérabilité.

En d’autres termes, la requérante reprochait à cet texte qu'il permette d’interdire aux personnes âgées de "gratifier" ceux qui leur apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile, sans prendre en compte leur capacité juridique ou l’existence ou non d’une vulnérabilité particulière.

Par arrêt du 19 décembre 2020, la Cour de Cassation a renvoyé au Conseil Constitutionnel qui a estimé que l’atteinte au droit de propriété était disproportionnée aux motifs notamment que :

  • Le seul fait d’être assisté au quotidien par une auxiliaire de vie ne peut faire présumer une altération des facultés mentales et donc de l’incapacité à consentir ;
  • L’interdiction s’applique quand bien même il est démontré que le donateur n’est pas en situation de vulnérabilité.

1.3. Dès lors par sa décision QPC n°2020-888 du 12 mars 2021, le Conseil a estimé que les dispositions dudit article étaient générales et disproportionnées en ce qu’elles empêchaient des personnes âgées, handicapées, ou dans un état de dépendance et qui bénéficiaient d’une assistance au quotidien, de disposer librement de leur patrimoine, alors qu’elles n’ont pas automatiquement une altération de leur aptitude à consentir. 

La conséquence de cette décision est telle que certaines dispositions de l’article L 116-4, I du Code de l’action sociale et des familles ont été abrogées par le Conseil Constitutionnel.

En effet, il n’aurait pas été légitime d’empêcher des personnes saines d’esprit de consentir des libéralités à leur auxiliaire de vie sous prétexte qu’elles sont seulement assistées dans les tâches du quotidien.

Le législateur en agissant de la sorte, aurait seulement protégé l’intérêt exclusif des héritiers et non celui de la personne devant initialement être protégée.

Il en résulte qu’avec cette décision, il est parfaitement possible pour les personnes âgées saines d’esprit de consentir des libéralités (testament, leg d’appartement, etc.) à leur auxiliaire de vie, et ce, même si ces aides à la personne ont seulement assisté dans les tâches du quotidien.

Décision QPC n°2020-888 du 12 mars 2021

[1] Articles 901 et 902 du Code civil
[2] Article 909 alinéa 1 du Code civil

Si vous souhaitez plus d'informations à ce sujet ?

Vous pouvez contacter Me Sophia BINET avocate à PARIS depuis 2008 pour toutes questions en droit de la famille et en droit des successions et des libéralités pour toute question.

Le Cabinet vous conseille et assure votre défense devant toutes les juridictions de Paris et Ile de France ainsi qu'à travers la France via un réseau de partenaires.