Vacciner son enfant contre la Covid-19 : questions et réponses juridiques
Alors que les essais cliniques pour vérifier l'efficacité et l'absence de danger des vaccins contre la Covid-19 chez les enfants ont commencé depuis plusieurs mois, le laboratoire Allemand BioNTeck est sur le point de déposer dans l'Union européenne une demande d'autorisation pour l'utilisation de son vaccin contre la Covid-19 chez les enfants de 12 à 15 ans, rendant possible une homologation dès juin.
Le vaccin Pfizer-BioNTech est à ce jour autorisé pour les plus de 16 ans, et celui de Moderna pour les plus de 18 ans.
Des essais cliniques seraient également en cours pour les moins de 11 ans.
La question de la vaccination des plus jeunes fait débat chez les scientifiques, certains appelant à la prudence au vu des formes asymptomatiques du virus chez l'enfant (voir notamment la Société Française de pédiatre qui estimait le 16 février 2021 (voir son avis publié) que cette vaccination n'était pas encore "nécessaire"), et d'autres faisant appel à l'intérêt de la vaccination chez l'enfant pour éviter d'endiguer l'épidémie (voir notamment les dernières modélisations de l'Institut Pasteur décrivant que la vaccination chez les plus jeunes pourraient permettre un retour à la normal plus rapide - voir la modélisation).
D'un point de vue juridique, les parents (et l'enfant) sont également en première ligne pour émettre ou non leur consentement ou leur acceptation à cette vaccination.
Maître Sophia BINET s'était déjà posée la question en décembre 2020 de la problématique du consentement à la vaccination d'un enfant (et du parent) contre la Covid-19 et des contours de celle-ci lorsque les parents sont en désaccord, notamment lorsqu'ils sont séparés.
(Voir l'article "AUTORITÉ PARENTALE ET VACCINATION DES ENFANTS CONTRE LA COVID-19")
Rappelons en effet plusieurs points.
1. Un vaccin "non obligatoire" : le consentement nécessaire de l'enfant et des parents ayant l'autorité parentale conjointe
Depuis l’allocution du Président de la République du 24 novembre 2020, le vaccin contre la Covid-19 fait partie de ceux qui ne sont "pas obligatoires".
En d'autres termes, pour les enfants, il ne ferait pas partie des 11 vaccins sont obligatoires en France [1] (en tous cas jusqu'à ce jour). Ceux-là ont tous été validés par le Conseil d’Etat [2]. Ces vaccinations sont pratiquées dans les dix-huit premiers mois de l’enfant (article R. 3111-2 du CSP), selon les âges fixés par le calendrier prévu à l’article L3111-1 du même code. Pour ces 11 vaccins, l’article L3111-2 du Code la santé publique permet de se dispenser du consentement du parent du mineur.
Si un parent ne vaccine pas son enfant d'un vaccin obligatoire, il existe plusieurs conséquences principalement d'ordre pénal (jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende pour avoir mis en danger délibérément leur enfant [3]), ou administratif (refus de réinscription ou de maintien dans un établissement scolaire ou autre collectivité d’enfants, etc.).
Quelle est la conséquence de cette vaccination "non obligatoire" pour l'enfant et pour les parents ?
Il faut d'abord considérer l'âge de l'enfant puisque :
- l’article R4127-42 du Code de la santé publique prévoit qu’en principe « un médecin appelé à donner des soins à un mineur (...) doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement ». Aussi, l’article L1111-4 du même code, impose de rechercher systématiquement le consentement du mineur s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.
- la décision des parents d’accepter ou de refuser l’administration d’un traitement médical sur leur enfant mineur, faisant partie des composantes de l’autorité parentale, les parents sont donc nécessairement les décisionnaires de la vaccination non obligatoire à l’égard de leur enfant mineur.
2. Existe-t-il une possibilité pour un parent de faire vacciner son enfant sans l'accord de l'autre ?
En matière d’exercice de l’autorité parentale, il faut différencier les actes usuels qui ne nécessitent pas l’accord des deux parents pour agir (généralement des actes de la vie quotidienne, sans gravité, ponctuels et d'une portée limitée [4]) et les actes non usuels qui engagent l’avenir de l’enfant et rompent avec le passé, ces derniers nécessitant l’accord des deux parents [5], de sorte que pour être pratiqués, ils devront être soumis à leurs consentements.
(Voir pour des exemples détaillés d'actes usuels et non usuels en matière médical, l'article publié sur le Village de la Justice)
Un vaccin est-il un acte usuel ou non usuel ?
L’acte médical ordinaire est assimilé à un acte usuel, le consentement d’un des deux parents suffit, dans la mesure où ce dernier est présumé agir avec l’accord de l’autre auprès du médecin en vertu de l’article 372-2 Code civil.
En matière de vaccination non obligatoire, aucune décision ne tranche véritablement la question de savoir si le vaccin est un acte suffisamment important pour qu'il nécessite l'accord des deux parents ou s'il peut-être considéré comme un acte "banal" et être effectué sans un complet consentement des deux parents exerçant l'autorité parentale.
D'après les décisions rendues en la matière, on pourrait dire qu'un vaccin non obligatoire nécessite l'accord des deux parents s'il peut être vu comme "important" au vu de circonstances propres à l'enfant : il ne suffit pas de dire que la vaccination en cause n'est pas obligatoire pour dire que c'est un acte usuel. Il faut analyser les éléments se rapportant à cette vaccination par des indices comme, par exemple, la vulnérabilité de l'enfant, ses antécédents, les risques encourus, les effets indésirables pour lui, les recommandations du corps médical entourant l'enfant, etc.
En effet, à titre informatif, il a été jugé du caractère « indispensable » d'une vaccination contre le méningocoque A + C) [6] mais, a contrario, une vaccination contre le papillomavirus humain sans l'avis des deux parents n'a pas été vu comme une faute aux motifs qu'il fallait apprécier "l’absence ou non de risque pouvant en résulter"[7].
Le vaccin contre la Covid-19 doit-il être considéré comme un acte usuel ou non usuel ?
A mon avis, au vu de l'incertitude jurisprudentielle et des précautions sanitaires compte tenu des débats de santé publique actuels, le vaccin contre la Covid-19 serait un acte non usuel devant nécessiter l'avis des deux parents au moins pour les mois à venir.
Le médecin a donc un rôle à jouer : en situation d'urgence, certes il pourra toujours passer outre le consentement des parents (quand bien même l’acte serait un acte dont la nature justifierait le consentement des deux [8]) mais en principe, il devra solliciter la justification de l’accord des deux parents ou refuser d’administrer le vaccin à l’enfant.
Aussi, lorsque l’enfant est mineur mais apte à donner son consentement, ce dernier pourra également faire part de son avis au médecin.
Dans tous les cas, il faut garder à l'esprit que les juridictions (pouvant être sollicitées en cas de conflit) veillent à appliquer l'intérêt supérieur de l'enfant et non l'intérêt personnel de l'adulte, ce qui doit conduire les parents à agir en ce sens dans le cadre d'un dialogue notamment avec le corps médical.
[1] 1° Antidiphtérique ; / 2° Antitétanique ; / 3° Antipoliomyélitiqu ; / 4° Contre la coqueluche ; / 5° Contre les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b ; / 6° Contre le virus de l’hépatite B ; / 7° Contre les infections invasives à pneumocoque ; / 8° Contre le méningocoque de sérogroupe C ; / 9° Contre la rougeole ; / 10° Contre les oreillons ; / 11° Contre la rubéole.
[2] CE, 6 mai 2019 n°419242.
[3] Article 227-17 du Code pénal.
[4] Cour d’appel de Lyon, 28 février 2011, 10/03604, 2007/00476.
[5] Cour d’appel de Paris, Pôle 3, Chambre 4, 9 juillet 2015 n°15/00320.
[6] CA ROUEN, Chambre famille, 7 janvier 2016, n°14/03166 ayant débouté la mère d’une demande de vaccination de leur fille contre le méningocoque A + C aux motifs que « la vaccination demandée par la mère, non obligatoire, n’apparaît pas suffisamment indispensable, au vu des éléments fournis de la Cour, pour [l’] autoriser (…) à la faire pratique contre l’avis du père ».
[7] Conseil d’État, Chambres réunies, 4 Octobre 2019 – n° 417714.
[8] Articles L. 1111-4 alinéa 9 et L 1111-5 du Code de la santé publique.