Action en constatation de la possession d'état: encore une avancée
Dans un avis rendu le 23 novembre 2022, à la demande du Tribunal judiciaire de Mulhouse, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation estime que la réalité biologique ne fait pas obstacle « à l’action en constatation de la possession d’état » dès lors que les conditions de la possession d’état sont réunies, selon l’appréciation des juges du fond.
Les termes "possession d'état " désignent une présomption légale permettant d'établir la filiation d'une personne sur la base de certains faits constatés par sa famille et par son entourage relativement aux relations ayant existé entre elle et la personne dont elle se dit être le fils ou la fille. La possession d'état s'établit par un acte de notoriété constatant la possession d'état.
La possession d’état repose donc sur une situation de fait. En effet, un individu qui n’aurait pas de lien de filiation établi juridiquement avec un enfant dont il s’occupe comme un père, peut se voir reconnaitre cette possession d’état par le juge. Le juge se fonde alors sur des éléments factuels qui apportent la preuve que l’individu entretient un lien paternel avec l’enfant et qu’il est reconnu comme tel socialement. La possession d’état vient ici résoudre une incertitude autour de la filiation de l’enfant dont on ne sait qui est le père ou la mère biologique.
La Cour de cassation a jugé que lorsqu'elle est confirmée de façon continue pendant plusieurs années après la naissance, la possession d'état fait obstacle à l'action en contestation de paternité légitime de l'auteur d'une reconnaissance de l'enfant antérieure à la naissance. (1ère CIV. - 14 février 2006 - BICC n°640 du 15 mai 2006).
En l’espèce, une jeune femme avait donné naissance à un enfant alors qu’elle était en couple avec un jeune homme. La filiation paternelle n’avait pas été établie à l’époque. Après plusieurs années de vie commune, le couple se marie avant de divorcer trois ans plus tard. Au début de son adolescence, l’enfant est placé en foyer de l’aide sociale à l’enfance.
L’ex-mari introduit alors une action en constatation de la possession d’état à l’égard de l’enfant, auprès du tribunal judiciaire de Mulhouse, et demande ainsi l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Il révèle dans le même temps ne pas être pour autant le père biologique de l’enfant.
La loi française est très stricte concernant l’établissement d’un lien de filiation entre un parent et un enfant et se borne souvent à superposer la réalité juridique sur la réalité biologique. La présomption de paternité qui présume, jusqu’à la production de preuves contraires, que le mari de la femme est le père de l’enfant en est un bon exemple.
L’adoption, la reconnaissance conjointe anticipée pour la femme n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant ou l’établissement « forcé » du lien de filiation en cas de recours à une PMA avec don par un couple de personnes de sexe différent sont les seuls cas où le législateur s’écarte de la réalité biologique pour établir une filiation qui repose sur une « fiction juridique ».
Or, l’avis rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation vient élargir le champ des cas d’établissement juridique de la filiation fondés sur une simple apparence de « réalité affective, matérielle et sociale ».
Longtemps tiraillés entre la nécessité de retranscrire la réalité biologique et la possibilité de consacrer l’apparence révélatrice d’un lien de filiation ou de parenté, les juges peuvent désormais établir un lien de filiation sur simple reconnaissance « d’une réalité affective, matérielle et sociale », l’absence de réalité biologique n’étant pas « en soi un obstacle au succès de la prétention ».
Ainsi, la possession d’état permet d’établir un lien de filiation entre un enfant et un individu dès lors qu’un lien de filiation n’est pas juridiquement établi pour l’enfant et qu’on ne saurait se prononcer avec certitude sur la filiation biologique de ce dernier. Dans la situation soumise à l’appréciation des juges du Tribunal judiciaire de Mulhouse, il y a une absence d’incertitude: l’homme qui demande la constatation de la possession d’état et par conséquent l’établissement d’un lien de filiation avec l’enfant n’est pas le père biologique de l’enfant.
La Cour de cassation donne alors la possibilité aux juges de faire fi de cette réalité biologique pour créer une réalité juridique en s’appuyant sur « une apparence de réalité affective, matérielle et sociale », l’aveu de l’ex-époux n’étant pas un obstacle à la constatation de cette possession d’état.
23 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-70.01
Article co-écrit par Maître Sophia BINET, et Melle Marie Fèvre, étudiante au sein du Master 2 communication, sociologie du droit et de la justice à l’Université Paris-Panthéon-Assas.