Créance antérieure au mariage et partage des meubles du domicile conjugal
Par un arrêt récent du 30 janvier 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation énonce deux principes qui sont à retenir lorsque, après un jugement de divorce, des difficultés s'élèvent entre les époux lors des opérations de liquidation et de partage de leurs intérêts patrimoniaux.
I) S'agissant de la demande de liquidation de créances nées avant le mariage
Deux individus étaient en situation d'indivision avant leur mariage. L'indivision correspond à « la situation d'un bien ou d'un ensemble de biens sur lequel plusieurs personnes sont titulaires de droits de même nature, sans qu'aucune d'entre elles n'ait de droit exclusif sur une partie déterminée ».[1]
Les époux se sont ensuite mariés et ont divorcé. A la suite du jugement de divorce, ils ont du procéder aux opérations de liquidation et de partage de leur intérêts patrimoniaux : dans le cadre de ces opérations, l'époux a réclamé des créances antérieures au mariage nées dans le cadre de l'indivision.
La Cour d'appel a refusé une telle demande. Elle a en effet considéré que le Juge aux affaires familiales n'était pas compétent pour statuer sur l'indivision ayant existé entre les parties avant leur mariage et elle a donc ordonné uniquement la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux. De plus, elle a ajouté que les créances nées avant le mariage n'avaient pas à être intégrées dans les comptes de liquidation du régime matrimonial.
La Cour de cassation réfute cette motivation. Elle considère au contraire que le Juge aux affaires familiales connait de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux (mais aussi des partenaires et des concubins). Elle énonce que la liquidation faite suite à un divorce englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties et « qu'il appartient à l'époux qui se prétend créancier de l'autre de faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial lors de l'établissement des comptes s'y apportant ».
Autrement dit, un époux qui se prétend créancier de l'autre époux dans le cadre d'une indivision pré-mariage peut tout de même faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de son régime matrimonial et le Juge aux affaires familiales est compétent pour connaître d'une telle demande.
II) S'agissant de la demande en partage des meubles garnissant le domicile conjugal
Les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. Ils avaient prévu dans leur contrat de mariage que les produits de consommation (vins, provisions, etc.) et les meubles meublants le domicile conjugal au jour de la dissolution du mariage seraient présumés appartenir à chacun des époux pour moitié.
Il s'agit là d'une présomption : l'article 1349 ancien du Code civil disposait que les présomptions étaient des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu. Par ailleurs, l'article 1538 al. 3 du Code civil, applicable au régime de séparation de biens, énonce la présomption suivante : « Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. ».
Un des époux demande alors à ce qu'il soit procédé au partage pour moitié des meubles meublants le domicile conjugal, comme il a été convenu dans le contrat de mariage. La Cour d'appel rejette la demande en partage (de Monsieur) au motif que le domicile conjugal avait été meublé avant le mariage et que, dès lors, l'époux ne justifiait pas de l'existence d'une indivision sur ce mobilier.
Néanmoins, la Cour de cassation casse à nouveau ce raisonnement en affirmant que « les présomptions de propriété ont effet dans les rapports entre les époux » (art. 1538 al.2 Code civil) et en conclut que la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve.
Autrement dit, la présomption contenue dans le contrat de mariage indiquait que les meubles meublants étaient indivis pour moitié, c'est-à-dire que chacun des époux était propriétaire pour moitié des meubles garnissant le domicile conjugal. Lors de la demande de partage, l'époux n'a pas à supporter la preuve d'une propriété pour moitié chacun sur les meubles du domicile conjugal dans la mesure où la présomption de propriété indivise joue. C'est à celui qui réfute cette présomption d'en faire la preuve.
Civ. 1ère., 30 janvier 2019, n°18-14.150 (F-P+B)
[1]Fiche d'orientation Dalloz, janvier 2019.
Article co-rédigé par Me Sophia BINET et Melle Nardjes KHALDI, IEJ Paris 1 Panthéon Sorbonne.