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L’abandon de l'enfant par un parent : une circonstance permettant de changer de nom

Le 28 juin 2018
Le Conseil d’État a admis, dans deux arrêts très récents du 16 mai 2018, que le désintéressement d’un parent à l’égard de son enfant peut constituer une circonstance exceptionnelle, caractérisant un intérêt légitime à changer de nom.

Le nom est un élément d’identification des personnes. C’est la raison pour laquelle il est immuable, ce qui signifie qu’il n’est pas possible de le modifier.

Le principe d’immutabilité du nom n’est toutefois pas absolu puisque des changements de nom sont possibles.

La plupart du temps, les changements de nom sont liés à une modification de la filiation. Le changement de nom pourra s’effectuer à l’occasion de l’établissement de la filiation (reconnaissance de paternité, adoption), ou de sa destruction (contestation de paternité).

Il est toutefois possible de changer de nom indépendamment d’une modification de filiation. Ces hypothèses sont toutefois beaucoup plus rares et très encadrées par la loi.

L’article 61 alinéa 1er du Code civil exige en effet que la demande de changement de nom soit fondée sur un intérêt légitime : « Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom ».

Il existe principalement trois cas dans lesquels la jurisprudence retient qu’une personne justifie d’un intérêt légitime pour demander un changement de nom : si le nom est ridicule, s’il est menacé d’extinction ou s’il a une consonance étrangère.

La question s’est toutefois posée de savoir s’il est possible de changer de nom en se fondant sur des motifs affectifs.

Dans un premier temps, la jurisprudence refusait d’autoriser un changement de nom fondé dans une telle hypothèse.

La jurisprudence s’est cependant assouplie et le Conseil d’État a notamment admis dans deux arrêts très récents du 16 mai 2018 que « des motifs d’ordre affectifs peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi » (CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 16 mai 2018, n° 409656 et n°408064).

Dans la première affaire, la requérante ne souhaitait plus porter le nom de son père et demandait à se voir attribuer celui de sa mère. Au soutien de sa demande, elle invoquait le fait que celui-ci l’avait abandonné alors qu’elle était âgée de 4 ans, qu’elle n’avait, depuis lors, plus eu aucun contact avec lui, et qu’il n’ait subvenu ni à son éducation, ni à son entretien.

Jugeant que la requérante justifiait d’un intérêt légitime à changer de nom, le Conseil d’État a fait droit à sa demande.

Par cette solution, le Conseil d’État admet donc que le désintéressement d’un parent à l’égard de son enfant peut constituer une circonstance exceptionnelle, caractérisant un intérêt légitime à changer de nom.

La même solution avait déjà été retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 31 janvier 2014 du Conseil d’État (CE, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 31 janvier 2014, n°362444).

Dans la deuxième affaire, le Conseil d’État a cette fois rejeté la demande d’un enfant qui souhaitait adjoindre au nom de sa mère, le nom de son père qui venait de décéder. L’enfant avait vécu et avait été élevé par ses deux parents mais il portait uniquement le nom de sa mère car son père ne l’avait pas reconnu à sa naissance, dès lors qu’il était marié.

A l’appui de sa demande, l’enfant prétendait que son père souhaitait lui aussi, de son vivant, qu’ils puissent porter le même nom, et qu’il souffrait de troubles psychologiques depuis le refus du garde des sceaux de l’autoriser à adjoindre le nom de son père au nom de sa mère.

Le Conseil d’État a toutefois jugé que le seul souhait pour l’enfant de porter le nom de son père ne constitue pas une circonstance particulière susceptible de caractériser un intérêt légitime à changer de nom.

Le Conseil d’État avait en effet constaté qu’aucune démarche de changement de nom n’avait été engagée tant que l’enfant était mineur, qu’il n’avait jamais fait l’usage du nom de son père et que les troubles allégués étaient postérieurs à la demande de changement de nom.

CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 16 mai 2018, n° 409656 et n°408064

Article corédigé par Me Sophia BINET et Clotilde Delabre, Étudiante à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne