La rupture du concubinage entraîne-t-elle le paiement d’une indemnité ?
En principe, le concubin qui paie les échéances d’un prêt après la rupture du concubinage ne peut demander remboursement des sommes versées dans la mesure où il a accompli volontairement un devoir de conscience transformant alors une simple obligation naturelle en obligation civile.
En effet, le concubin n’était pas tenu de rembourser les échéances mais dès lors qu’il l’a fait volontairement, il ne peut demander restitution.
Le concubinage est « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple » (art. 515-8 C.civ). S’agissant d’un simple fait juridique, le concubinage est très peu régi par le droit et il n’existe pas de statut légal du concubinage.
Contrairement au mariage qui prend en compte la notion de « contribution des époux aux charges du mariage » (art. 214 C.civ), aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de leur vie commune.
Dès lors, à la rupture du concubinage, certains litiges peuvent s’élever notamment eu égard à la contribution de chacun des concubins : il est alors fait recours aux mécanismes de droit commun, notamment à ceux de l’enrichissement sans cause ou de la société créée de fait.
Dans un arrêt du 19 décembre 2018 de la première chambre civile de la Cour de cassation, deux individus ont vécu en concubinage de 1992 à 2006.
En 2007, peu après leur séparation, les ex-concubins ont souscrit un prêt afin de financer la construction d’une maison d’habitation sur un terrain appartenant à la concubine. Les mensualités du prêt ont été payées intégralement par le concubin jusqu’en septembre 2011, après leur séparation.
En 2011, le concubin a demandé à ce que sa concubine lui rembourse la totalité des sommes versées par lui pour les échéances du prêt sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
La Cour d’appel d’Agen accueille les demandes du concubin et rejette la position de la concubine qui estimait ne pas s’être enrichie et avoir contribué de manière excessive aux charges communes.
La Cour d’appel considère que la concubine ne démontre pas avoir « contribué au-delà de sa participation naturelle aux charges de la vie courante pendant le temps du concubinage, ce d’autant que durant la vie commune elle n’a pas eu à s’acquitter d’une dépense de loyer ; qu’il est normal par ailleurs que chacun participe aux dépenses de la vie courante à proportion de ses moyens, que là encore [la concubine] ne démontre pas que cette participation dépasse sa contribution naturelle [...] ».
Ainsi, selon la Cour, il n’est pas établi que le concubin ait entendu assumer le paiement du prêt pour rembourser les aides financières qu’elle lui avait accordées pendant leur vie commune et qu’en l’absence d’intention libérale du concubin, l’enrichissement de la concubine, dont la maison a été financée en partie par un prêt qu’elle n’a pas payé, est sans cause.
En d'autres termes, la Cour d'appel estime que la concubine aurait donc bénéficié d’un enrichissement sans cause à travers le financement de sa maison par son ex-concubin.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel et considère qu’elle n’a pas recherché « comme elle y était invitée, si le financement de la maison d’habitation au moyen des seuls deniers personnels [du concubin] ne s’expliquait pas par le devoir de conscience dont celui-ci s’estimait tenu à l’égard de son ancienne concubine, en raison des circonstances de leur rupture ».
La Cour d’appel et la Cour de cassation ont toutes les deux eu recours aux règles du droit des obligations car les règles du droit du concubinage sont inexistantes. Cependant, si la Cour d’appel a eu recours à la théorie de l’enrichissement sans cause (appelé aujourd’hui « enrichissement injustifié »), la Cour de cassation s’est elle appuyée sur la théorie du paiement indu énoncée à l’article 1302 du Code civil qui dispose : « Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »
En effet l’obligation naturelle est simplement une obligation morale reposant sur un devoir de conscience. Elle existe toutes les fois qu’une personne s’oblige envers une autre ou lui verse une somme d’argent, non sous l’impulsion d’une intention libérale, mais afin de remplir un devoir impérieux de conscience et d’honneur. Il ne s’agit pas d’une obligation sanctionnable. L’obligation naturelle se transforme en obligation civile contraignante dès lors qu’elle repose sur un engagement unilatéral du débiteur d’exécuter l’obligation naturelle.
En ce sens, la Cour de cassation considère que le concubin avait un devoir de conscience, c’est-à-dire une obligation naturelle, compte tenu des circonstances de la rupture du concubinage (17 ans de concubinage, délaissement de la concubine, etc.) et qu’ainsi, l’obligation naturelle ayant été volontairement acquittée par le concubin, il ne peut y avoir restitution des sommes versées dans le cadre du prêt.
Autrement dit, en s’engageant volontairement à régler les échéances du prêt destiné à financer la construction d’une maison dont la concubine était seule propriétaire, le concubin a voulu exécuter un devoir de conscience. Il a ainsi transformé une obligation naturelle en obligation civile.
D’ailleurs la réforme du droit des obligations issue de l’ordonnance du 10 février 2016 prend acte de l’obligation de conscience car elle est consacrée par l’article 1100 du Code civil qui dispose que les obligations peuvent naitre « de la promesse d’exécuter un devoir de conscience ».
En recourant à l’obligation naturelle, le juge permet alors de réparer le dommage causé par la rupture du concubinage et notamment l’abandon du concubin (ce qui est souvent le cas : Civ1ère 17 nov. 1999 n°97-17.541 ; Civ1ère., 19 fév. 2002 n°99-18.928 ; Civ1ère., 20 fév. 2008 n° 07-15.978 ).
Par le mécanisme de l’obligation naturelle, on pourrait en déduire que le Juge va allouer une sorte « d’indemnité de rupture » et en ce sens il va prendre en compte le cas d’espèce, à l’instar de la prestation compensatoire en matière de divorce.
Civ 1ère., 19 déc. 2018, n° 17-27.855
Article co-rédigé par Me Sophia BINET et Melle Nardjes KHALDI, IEJ Paris 1 Panthéon Sorbonne.
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