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Le droit à la déconnexion : la protection de la santé et de la vie privée et familiale du salarié

Le 29 mars 2017

« Un salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile ni d’y installer ses dossiers et ses documents de travail » estimait la Cour de cassation déjà dans une décision du 2 octobre 2001 (n°99-42942)[1]. Néanmoins, les notions de « sphère privée » et « sphère professionnelle » ont bien évolué depuis.

Le phénomène de l’hyper connexion, dû à l’émergence des nouvelles technologies, ne permet plus de distinguer la vie privée de la vie professionnelle par des critères de lieu ou de temps. En effet, l’avocat Etienne Pujol déclare que « selon certaines études, [la sur connexion] concernerait au moins 75% des cadres et 40% des salariés ! » [2]. Ainsi, la vie privée et la vie professionnelle du salarié s’entremêlent et la frontière entre ces deux sphères s’amenuise.

Répondant à la nécessité de protéger la vie privée et la santé des salariés, la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, introduit les modalités permettant le respect du  droit à la déconnexion  aux articles L. 2242-8, L. 3121-64 et L. 3121-65 du Code du travail.

 

1.      Définition du droit à la déconnexion

La loi du 8 août 2016 ne consacre pas le droit à la déconnexion en tant que tel, mais impose que l’employeur prenne toutes les mesures utiles afin « d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale » (Art. 2242-8 du Code du travail).

L’avocat Etienne Pujol considère qu’il s’agit du « droit pour le salarié de ne pas être connecté au serveur de son employeur au cours de ses périodes de repos ou de congés »[3].

D’autres auteurs évoquent le droit de se déconnecter de son « projet professionnel »[4]. En outre, pour le Professeur Jean Emmanuel Ray, il faut distinguer la « déconnexion intellectuelle » de la « déconnexion technique »[5].

En effet, nul ne peut contraindre le salarié à se déconnecter intellectuellement de son travail lorsqu’il rentre chez lui, d’autant plus s’il possède des outils de travail à son domicile.

Or, le droit à la déconnexion technique, dont il est question dans la loi du 8 août 2016, consistant en des stratagèmes techniques tels que le blocage des serveurs de l’employeur permettrait de limiter l’atteinte au respect de la vie privée et familiale du salarié.

 

2.      Mise en œuvre du droit à la déconnexion

Selon l’article 2248 du Code du travail modifié par la loi du 8 août 2016,  l’employeur doit, depuis le 1er janvier 2017, soumettre à la négociation annuelle obligatoire les « modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et à la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue de respecter des temps de repos et de congé ainsi que la vie personnelle et familiale ».

Ce même article prévoit qu’à défaut de conclusion d’un accord collectif, l’employeur devra élaborer une charte de bonne conduite relative aux modalités du droit à la déconnexion. Aussi, la rédaction d’un avenant au règlement intérieur relatif au lien entre la santé du travailleur et son droit à la déconnexion est envisagée. Peu importe sa nature, il est essentiel qu’un texte déclare le droit à la déconnexion et ses modalités.

En pratique, l’employeur dispose de multiples moyens pour mettre en œuvre ce droit à la déconnexion. Il peut obliger le salarié à laisser dans les locaux de l’entreprise les outils de travail connectables, bloquer les serveurs de l’entreprise, ou encore contrôler leur utilisation.

 

 

3.      Limites à l’effectivité du droit à la déconnexion

Comme en dispose la loi, c’est à l’employeur d’assurer le respect du droit à la déconnexion. Outre la possibilité de couper l’accès aux serveurs, l’employeur devra éviter de surcharger de travail le salarié, qui sous la pression, se sentirait obligé de travailler en dehors des heures prévues.

Néanmoins, le droit à la déconnexion n’est pas uniquement un devoir pour l’employeur, mais il l’est aussi pour son bénéficiaire, le salarié. L’effectivité du droit à la déconnexion est dépendante de la volonté de l’employé de se déconnecter des outils numériques, et par exemple, de ne pas regarder systématiquement sa messagerie professionnelle. Il est impossible pour le législateur, comme pour l’employeur, de s’assurer que le salarié ne mêlera pas vie privée et vie professionnelle car cela relève de sa liberté.

De plus, l’effectivité d’un tel droit est également subordonnée à son respect par le client, le fournisseur, le sous-traitant mais davantage encore par les collègues. Il peut paraître parfois plus compliqué de poser des limites à ses collègues d’un point de vue humain.

Le droit à la déconnexion met donc en jeu une « coresponsabilité » de l’employeur, du salarié mais également du client, du fournisseur ou de tout autre agent professionnel pouvant interférer dans la vie privée de l’employé.

Enfin, le respect du droit à la déconnexion ne sera rendue possible que par une prise de conscience de l’employeur et du salarié de la nécessité du respect d’un certain savoir vivre et de règles de conduite permettant alors l’amélioration de leur qualité de vie au travail.

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007046161

[2] E. PUJOL, « Déconnexion : plus qu’un droit, un devoir partagé ! », Dalloz Actualité, 18 janv. 2017

[3] ibidem

[4]C. MATHIEU, MM. PEREITE, A. PICAULT, « Le droit à la déconnexion : une chimère ? »,  Revue de droit du travail, 2016

[5] J.E. RAY, « Grande accélération et droit à la déconnexion », Dalloz Droit social, 2016